Instaurées dès 1979 à la suite de la rupture entre les États-Unis et la jeune république islamique, les sanctions touchent aujourd’hui de nombreux secteurs de l’économie iranienne. La prise d’otages du personnel de l’ambassade américaine à Téhéran par les partisans de l’ayatollah Khomeiny a profondément bouleversé la relation privilégiée qu’entretenaient autrefois les États-Unis avec l’Iran du shah Mohammad Reza Pahlavi.
Les deux États sont dans une logique d’affrontement idéologique depuis la révolution de 1979, et plus particulièrement depuis le début des années 2000, lorsque George W. Bush intégra la République islamique dans un « axe du mal » après les attaques du 11 septembre 2001. Le président conservateur iranien de l’époque Mahmoud Ahmadinejad, élu en 2005 puis réélu en 2009, alimenta cette opposition en utilisant un discours belliciste et se référant au programme nucléaire de manière plus décomplexée.
Cette rupture historique entre les États-Unis et l’Iran est profondément ancrée dans la géopolitique régionale. La République islamique a depuis sa création juré la destruction de l’État d’Israël, jugé illégitime et premier relais de la politique américaine au Moyen-Orient.
Cette confrontation a suscité l’instauration de sanctions économiques de plus en plus sévères sur l’Iran : gel des avoirs financiers dès 1980, embargo sur les armes en 1984 lors de la guerre Iran-Irak, puis sur le pétrole en 1995, principale source de revenus du pays. En 2004, l’interdiction de toute coopération scientifique est destinée à entraver le programme nucléaire iranien, accusé de comporter secrètement un volet militaire, en violation du Traité de Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP). L’Iran est en effet membre signataire du TNP depuis 1968 et s’insère dans un système de coopération internationale fondée autour du programme américain Atom for peace. Téhéran souhaitait bénéficier du partage de connaissances et de technologies promis par le Traité, sous l’égide de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA).
La politique américaine d’endiguement poursuivie depuis 1994 a favorisé la mise en place d’un régime global de sanctions (comprehensive regime) entre 2012 et 2015, entrainant la chute du PIB iranien de 32% et une dévaluation spectaculaire du riyal iranien face au dollar. Les embargos visent en priorité le système financier iranien, exclu du système international SWIFT, et l’exportation d’hydrocarbures, dont l’économie locale est largement dépendante. Le pays détient en effet les deuxièmes plus grandes réserves de gaz au monde, et les quatrièmes de pétrole. Ses exportations sont principalement dirigées vers les États asiatiques, telle la Corée du sud et la Chine, aujourd’hui premier importateur de pétrole brut au monde, et second consommateur derrière les États-Unis. Cette rente pétrolière représentait ainsi 35% des revenus de l’État iranien en 2019, mais quarante années de sanctions américaines ont profondément altéré ses capacités de raffinage et son réseau de transport terrestre. Ainsi, en 2017, malgré ses vastes ressources, l’Iran importait en moyenne quotidiennement 13 millions de litres d’essence.
Ces sanctions, parmi les plus dures au monde, ont progressivement mis en lumière les faiblesses structurelles du système économique iranien. Le déficit budgétaire croissant non compensé par les recettes fiscales, ainsi qu’une inflation colossale (40% en 2020) ont provoqué l’épanouissement de secteurs économiques informels (contrebande, marché noir de devise, trafics etc.) et plus globalement une dégradation du climat des affaires. L’imprévisibilité de l’économie iranienne a engendré ces dernières années une forte diminution des investissements directs étrangers et de la confiance dans les partenariats avec des entreprises locales.
Or, l’ayatollah et guide suprême Ali Khamenei, à la tête du pouvoir en Iran depuis juin 1989, a promu en 2009 le concept d’une « économie de résistance » (eghtesad-e moqawamat) reposant sur l’autosuffisance et la production nationale pour contrer les sanctions occidentales. Cette doctrine étatique comparable à l’économie de guerre ou de résilience et soutenue par les Gardiens de la révolution (armée idéologique du régime) ne permet pas de régler les défis auxquels fait face l’Iran.
Cette impasse économique essentiellement imposée par Washington est motivée par la politique américaine de regime change. Les embargos ont alors pour objectif à la fois de réduire les capacités iraniennes de développer l’arme atomique, mais aussi de provoquer un soulèvement de la population locale contre le régime. Dans cette optique, les sanctions sont alors plus un levier de politique intérieure qu’un simple outil de diplomatie économique.
Après de longues négociations, un compromis est finalement trouvé au conseil de sécurité de l’ONU et permet la signature le 14 juillet 2015 de l’accord de Vienne, ou Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA). Cet accord réunissant les 5 membres permanents du conseil de sécurité, l’Allemagne et l’Iran prévoyait une levée progressive des sanctions sur l’Iran en échange de garanties iraniennes quant à la limitation de son programme nucléaire à un usage civil, sous la surveillance de l’AIEA. Il est également le fruit de négociations intenses effectuées entre les gouvernements de Barack Obama et du président réformateur iranien Hassan Rohani. Cependant, l’élection de Donald Trump en 2016 réduit à néant ce timide espoir d’ouverture, avec le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord en 2017.
En imposant de nouvelles sanctions à l’Iran, le nouveau président américain accentua dangereusement l’opposition entre Washington et Téhéran. Le gouvernement de Donald Trump accusa l’Iran de ne pas respecter l’accord de 2015, malgré les multiples rapports de l’AIEA, en contradiction avec le discours officiel américain. Ce regain de tension entre les deux pays est aussi alimenté par la politique régionale de l’Iran.
Téhéran s’insère en effet depuis 2014 dans les guerres civiles syrienne, irakienne et yéménite à travers un soutien financier et militaire à des groupes opposés à une présence américaine au Moyen-Orient. Ainsi, à travers des milices qui lui sont inféodées et les pasadran (Gardiens de la révolution), l’influence iranienne s’est considérablement accrue en Irak et en Syrie où l’Iran a pris part aux combats contre l’État Islamique. Par ailleurs, cette insertion de l’Iran dans les enjeux sécuritaires régionaux s’inscrit dans une rivalité politique et idéologique entre Téhéran et ses voisins du Golfe, lesquels bénéficient d’un soutien quasi inconditionnel de Donald Trump, en particulier l’Arabie saoudite. Ainsi, destinées à contenir ces activités jugées déstabilisatrices pour la région, les sanctions américaines visent également les Gardiens de la révolution en tant qu’organisation terroriste et toutes les entités étatiques ou privées considérées comme des soutiens idéologiques ou financiers du régime.
Parallèlement à cette escalade des tensions, l’Iran s’est progressivement affranchi de ses engagements vis-à-vis de son programme nucléaire, et relança dès 2019 l’enrichissement d’uranium. L’objectif iranien est de faire pression sur les autres membres de l’accord pour qu’ils parviennent à y faire revenir Washington et respecter leur promesse d’ouverture économique du pays.
Or, ce régime de sanctions asphyxiant l’Iran depuis plusieurs années a suscité une adhésion mitigée des acteurs internationaux, y compris parmi les alliés historiques de Washington. Défavorables à la nouvelle orientation américaine à l’égard du régime de Téhéran, La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont mis en place en janvier 2019 le système de troc INSTEX. L’objectif était de contourner les nouvelles sanctions du gouvernement Trump et l’interdiction de commercer avec la République islamique qu’elles induisent en évitant l’utilisation du dollar. Néanmoins, l’intérêt de ce mécanisme est fortement limité par l’exclusion du pétrole des échanges et leur réduction aux exportations de biens alimentaires et médicaments, produits en théorie exclus des embargos américains.
En outre, le retrait américain du JCPOA et l’incapacité des États européens à contourner les embargos n’a pas été sans impacts sur la politique nationale iranienne. Il a en effet nourri le discours des conservateurs opposés à l’accord, accusant de naïveté les réformateurs en faveur d’une ouverture économique du pays vers l’Occident. Globalement, la confiance iranienne envers l’Union Européenne et les États-Unis a donc été profondément détériorée, et explique en partie la difficulté des négociations actuelles.
Néanmoins, l’élection de Joe Biden en janvier 2021 a constitué un tournant majeur dans les relations entre les États-Unis et l’Iran. Le nouveau président démocrate s’oppose en effet en de nombreux points avec son prédécesseur, en particulier autour des problématiques moyen-orientales. Favorable à l’accord de 2015, Biden a relancé les discussions entre les États-Unis et l’Iran dès le début de son mandat. Cependant, en raison du refus de Téhéran d’échanger directement avec les États-Unis, les pays européens membres de l’ancien accord (France, Royaume-Uni et Allemagne) servent d’intermédiaires entre les délégations iranienne et américaine. De plus, la fin du mandat d’Hassan Rohani en juin 2021 et l’élection du président conservateur Ebrahim Raïssi a également ralenti ces discussions, en dépit de l’urgence à empêcher le développement d’une arme atomique iranienne.
Malgré les récents progrès dans les négociations indirectes entre l’Iran et les États-Unis, plusieurs points de crispations demeurent, notamment en lien avec la politique régionale de Téhéran. Piliers de la politique américaine dans la région, Israël et l’Arabie saoudite ont officiellement fait part de leur opposition à un nouvel accord avec l’Iran, compte tenu du nouveau contexte géostratégique. Ces deux pays en confrontation directe avec la République islamique réclament des garanties quant au programme balistique iranien et à l’utilisation de proxies dans les pays voisins.
En réponse à ce qu’il estime être une menace existentielle, l’État hébreu a régulièrement fait part de son intention de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’Iran de se doter d’une bombe nucléaire, y compris par des moyens militaires. Plusieurs actions destinées à entraver le programme nucléaire iranien ont ainsi été imputées à Israël, tel l’assassinat du physicien nucléaire Mohsen Fakhrizadeh en novembre 2020, ou la cyberattaque visant l’installation de Natanz en avril 2021. L’Arabie saoudite en revanche, régulièrement menacée au sud par les rebelles Houthis du Yémen et au nord par les milices irakiennes, s’est vue contrainte d’engager des discussions avec l’Iran en septembre 2021, par l’intermédiaire du gouvernement irakien.
Il est donc nécessaire de prendre en compte les évolutions stratégiques régionales pour comprendre les enjeux impliqués dans les négociations sur le nucléaire iranien. Le régime de Téhéran a également pris des mesures destinées à faire monter les enchères et renforcer sa position dans les discussions avec les Occidentaux. Par exemple, plusieurs incidents maritimes ont été attribués à l’Iran dans le Golfe persique, où transitent 30% des hydrocarbures mondiaux. On peut aussi mentionner l’arrestation d’étrangers ou binationaux en Iran tels la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkah et le touriste français Benjamin Briere, dont l’emprisonnement sert sans doute de levier diplomatique à l’Iran.
Malgré la méfiance du nouveau gouvernement iranien envers Washington et les Européens, l’Iran fait face à la plus grave crise économique de son histoire. Les sanctions américaines ayant asphyxiés l’économie locale impactent aujourd’hui l’ensemble des importations du pays, notamment en matière de médicaments et de matériels médicaux. C’est pourquoi en dépit d’un discours ferme envers l’Occident, le gouvernement d’Ebrahim Raïssi, bien que conservateur, est contraint de parvenir à un accord et à une levée des sanctions. Toutefois, depuis les huit sessions de discussions à Vienne, l’Iran et les États-Unis se renvoient la balle. L’Iran souhaite en effet obtenir des États-Unis la garantie du respect de l’accord par les futures administrations américaines afin de ne pas répéter le scénario Trump.
Le 4 février 2022, en accordant une dérogation de sanction liée au nucléaire, les États-Unis ont envoyé un signe positif aux Iraniens : cette mesure autorise les entreprises occidentales à réaliser des partenariats avec l’Iran dans le nucléaire civil. Le gouvernement de Téhéran souhaite cependant davantage d’actions liée à l’économie locale. L’Iran réclame en effet depuis le début des négociations le déblocage de fonds à l’étranger, notamment en Corée du sud. En raison des sanctions américaines, plus de 7 milliards de dollars de fonds iraniens sont gelés dans deux banques sud-coréennes : la banque industrielle de Corée (IBK) et Woori Bank.
Présentant des résultats mitigés concernant la première année de son mandat, Joe Biden semble déterminé à parvenir à un accord avec l’Iran. Toutefois ces récents progrès dans les négociations ont soulevé des contestations auprès de politiciens américains, tant au sein des démocrates que des républicains. Le sénateur démocrate Bob Menendez s’est montré en défaveur d’un nouvel accord avec l’Iran, estimant que les restrictions imposées à la République islamique demeurent insuffisantes. Les arguments défavorables à un nouvel accord pointent notamment l’absence de garanties concernant le programme balistique iranien et son soutien aux milices qui lui sont dévouées dans la région. Le 8 février 2022, 33 sénateurs républicains ont rédigé une lettre à l’administration Biden, appelant le président à soumettre le nouvel accord à un vote au Congrès en tant que traité. Ce dernier nécessiterait alors une ratification aux deux tiers par le Sénat, où les démocrates tiennent une très faible majorité. Le leader républicain au Sénat Mitch McConnell a également cité le rapport de Menendez en exhortant l’administration Biden à exercer plus de pression sur « la plus grande menace aux États-Unis et ses partenaires ».
Le régime de sanctions imposé à l’Iran n’a pourtant pas permis une inflexion iranienne à mettre un terme à son programme nucléaire, encore moins à ses activités d’influence dans la région. Au contraire, l’Iran enrichit aujourd’hui de l’uranium à hauteur de 60% (90% étant nécessaire à la fabrication d’une bombe) et a renforcé son emprise sur le Proche-Orient parallèlement à ses opérations militaires en Irak et en Syrie. D’un point de vue stratégique, les sanctions ont aussi poussé l’Iran à développer ses partenariats avec des régimes autoritaires et adversaires des États-Unis, au premier rang desquels figurent la Chine et la Russie. Des huit pays ayant obtenu des États-Unis une dérogation à l’importation de pétrole iranien, la Chine reste aujourd’hui le seul à pouvoir continuer à tenir tête à Washington. Pékin a en effet mis en place un système de troc pour importer les matières premières iraniennes et exporter vers l’Iran ses biens de consommation en évitant les transactions en dollar.
Plus symbolique encore, Pékin et Téhéran ont signé un pacte de coopération stratégique le 27 mars 2021, favorisant des partenariats dans le domaine économique mais aussi militaire. De plus, il faut considérer l’entrée de l’Iran dans l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), au sein de laquelle la Chine entend mettre à profit ses ambitions commerciales de grande envergure. À mesure que le fossé s’est creusé entre l’Occident et l’Iran ces dernières années, la puissance chinoise a renforcé sa présence commerciale en Iran, notamment dans les domaines du tourisme et des infrastructures, essentiels au projet chinois des nouvelles routes de la soie.
En cas de nouvel accord et d’une levée des sanctions, il est alors nécessaire de prendre en compte les nouveaux réseaux d’affaires impliquant la Chine, mais aussi les conséquences sur le paysage économique régional. En effet, une ouverture de l’Iran au marché international renforcerait la concurrence économique entre la république islamique et ses rivaux du Golfe. La mise au ban du pays pendant plusieurs décennies a partiellement favorisé la concentration de l’intérêt sur les monarchies pétrolières et leur développement spectaculaire ces dernières années.
Par ailleurs, l’Iran est l’un des pays du Moyen-Orient où se trouve le plus de jeunes diplômés, notamment dans le domaine de l’ingénierie, l’industrie et la médecine. Cette jeunesse iranienne bien éduquée (50% des Iraniens ont moins de 30 ans) est en outre globalement très orientée vers l’Occident et aspire à une ouverture économique à l’international. Le pays présente alors un potentiel majeur dans plusieurs secteurs d’activité. Ses grandes ressources énergétiques avaient notamment suscité l’intérêt de Total en juillet 2017 pour le développement du gisement gazier de South Pars. Bien que l’État soit omniprésent dans le secteur automobile, ce dernier présente aussi un intérêt majeur étant donné le degré de compétitivité des constructeurs iraniens dans la région, en particulier l’IDRO (Industrial Development and Renovation Organization of Iran) et Iran Khodro, en relation avec Peugeot.
Il apparaît alors essentiel de prendre en compte le contexte historique pour comprendre le régime de sanction appliqué à l’Iran depuis plusieurs années. Les tensions géopolitiques entre l’Iran, ses voisins du Golfe et Israël, alliés historiques de Washington, sont également centrales dans les négociations entre la République islamique et les États-Unis. Le programme balistique iranien et l’influence de Téhéran dans la région demeurent des points de crispations entravant les discussions à Vienne. Toutefois, les derniers progrès laissent entrevoir la réalisation d’un nouvel accord sur le nucléaire iranien, mais ne résolvent pas toutes les problématiques liées à la place de l’Iran dans la région. En effet, la mise en place d’une économie de résistance par le pouvoir iranien a également renforcé sa présence au sein des grandes entreprises nationales par le biais d’entités liées aux Gardiens de la révolution, considérés comme terroristes par plusieurs pays occidentaux. En effet, les pasdaran ont depuis plusieurs années pris une place centrale au sein des compagnies iraniennes présentant un intérêt stratégique pour le pays.
En cas d’une ouverture économique, de nombreuses sociétés occidentales et asiatiques réaliseront des partenariats avec l’Iran qui présente un fort potentiel dans les secteurs industriel, médical et touristique. Il est toutefois nécessaire de prendre en compte la place qu’occupent aujourd’hui les partenaires de l’Iran au sein de son économie, à savoir la Russie et la Chine. Les entreprises souhaitant développer leur activité en Iran doivent donc renforcer leur connaissance du pays et des entreprises cibles, susceptibles d’avoir des liens avec les pasdarans ou des entités affiliées.
SIMON GIRARD
Consultant au département Moyen-Orient de l’ADIT
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