L’état actuel de la corruption en Europe de l’Est

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Presque trente ans après l’effondrement du bloc communiste, la corruption continue d’être une réalité dans certains pays post-soviétiques. En effet, malgré des efforts perpétuels pour combattre la captation de l’Etat, ou encore la concentration des pouvoirs dans les mains des oligarchies locales, parfois alliées des grandes multinationales, ce mal reste bien présent.

Ces dernières années, les scandales de corruption liés à ces enveloppes se multiplient dans plusieurs pays de l’Est ayant intégrés l’Union européenne. Bien identifier les causes de ce phénomène endémique n’est pas évident : est-ce un triste héritage de l’époque communiste ? Peut-on reprocher aux autres pays de l’Union de s’être « pliés » à ce type de pratiques douteuses ?

Le 29 janvier 2020, l’ONG Transparency International a publié son vingt-cinquième rapport annuel sur la perception de la corruption dans le secteur public, mesuré dans 180 pays et territoires1)Transparency International, Indice de perception de la corruption 2019. Triste conclusion : les résultats de l’indice de la perception de la corruption (IPC) de Transparency International, le plus utilisé dans le monde, montrent que certains pays de l’ancien bloc communiste luttent contre la corruption, mais sans succès, demeurant ainsi associés aux pratiques les plus douteuses.

Mesurer le niveau de la perception de la corruption peut constituer une démarche très délicate : d’une part, la nature occulte de cette infraction rend impossible l’accès à des    données objectives, d’autre part en raison de l’absence d’une définition universelle de ce concept. Cependant, l’IPC s’est imposé comme la référence tant pour les acteurs privés, notamment les investisseurs, que pour les administrations. Il utilise une échelle de zéro (un pays extrêmement corrompu) à cent (un pays sans corruption) pour tenter d’évaluer les niveaux de corruption, tels que perçus par l’opinion publique.

Selon l’ONG, l’IPC définit la corruption comme le fait de détourner ou d’abuser d’une charge publique à des fins personnelles, par la corruption d’agents publics, notamment dans le cadre des marchés publics, ou tout simplement par le biais du détournement des fonds publics.

Un score élevé indique l’existence d’une administration transparente, tandis qu’un mauvais score indique la généralisation des pratiques de recours à des pots-de-vin, de l’absence de sanctions en cas de corruption et, plus généralement, d’un décalage entre les prestations de l’administration et la prise en compte des besoins de la population, selon ce que révèle l’étude de Transparency International.

En 2019, la thématique principale de cette étude a été l’intégrité politique, plus précisément au niveau du financement des partis politiques et de leurs campagnes électorales. À travers leurs recherches, les experts de Transparency International ont mis en évidence l’existence d’une étroite relation entre la politique, l’argent et la corruption notamment dans les pays aux scores faibles.

Ainsi, cette étude met en lumière une Europe hétérogène au niveau de la corruption, où les pays du Nord semblent être nettement moins touchés par la corruption que les pays du centre, lesquels font mieux que les États de l’Est et du Sud de l’Europe. Comme pour les années précédentes, les données montrent que malgré certains progrès, la grande partie des pays ne parviennent pas à combattre la corruption dans le secteur public.

Le score le plus élevé a été « remporté » par la région de l’Europe Occidentale et l’Union Européenne (66), tandis que l’Afrique subsaharienne demeure la région au score le plus faible (32). Au niveau des pays, la Nouvelle-Zélande et le Danemark remportent le meilleur score (87), suivis de la Finlande (86), Singapour (85), la Suède et la Suisse (85). Plus des deux tiers des pays obtiennent un score inférieur à 50 sur l’IPC, avec une note moyenne de 43 seulement.

Les pays aux scores plus faibles connaissent, généralement une séparation des pouvoirs limitée, voire inexistante, un flagrant abus des ressources de l’État à des fins privées, souvent électorales, un financement opaque des partis politiques et de nombreux conflits d’intérêts. Cela est complété par une forte influence politique sur les autorités de contrôle, une insuffisante indépendance judiciaire ainsi qu’une forte limitation de la liberté de la presse. Malgré leur aspiration à rejoindre l’Union européenne, cela restera impossible dans ce contexte d’absence de volonté politique et de mise en œuvre des cadres légaux et règlementaires nécessaires. Si la Biélorussie (45) et le Kirghizistan (30) ont considérablement progressé sur l’IPC, l’Ouzbékistan demeure, malgré de légères améliorations, l’un des régimes les plus autoritaires du monde.

Cependant, l’Union européenne, désignée la région la plus performante, avec un score moyen de 66 sur 100, n’est pas à l’abri de la corruption. Plus précisément, la plupart des États post-communistes actuellement membres de l’UE éprouvent de réelles difficultés à combattre la corruption : la Bulgarie (43)  la Roumanie (44) et la Hongrie (44) n’arrivent pas à poursuivre de manière efficace les cas de corruption à haut niveau.

Pour la Roumanie, l’année 2019 a été fatidique. Au mois de janvier, finalisation d’un dossier des rétrocessions illégales des terrains dans la ville de Constanta: l’ancien maire, Radu MAZARE, est condamné à une peine d’emprisonnement de 9 ans pour corruption, abus de fonction et conflits d’intérêts pour avoir arbitrairement attribué de vastes zones de terres urbaines, plages et falaises. Dommages estimés par le parquet national anti-corruption ? 114 millions d’euros au préjudice de l’État roumain2)https://adevarul.ro/locale/constanta/pronuntare-dosarul-retrocedarilor-radu-mazare-condamnat-9-ani-inchisoare-executare-1_5c5caf40df52022f7580bfc8/index.html. Sorin BLEJNAR, l’ancien directeur de l’Agence Nationale d’Administration Fiscale, lui, a écopé d’une peine de 5 ans d’emprisonnement pour avoir usé de son influence dans le cadre des procédures de passation des marchés publics, contre des pots-de-vin équivalents à 3 millions d’euros3)https://financialintelligence.ro/sorin-blejnar-condamnat-definitiv-la-5-ani-de-inchisoare-pentru-trafic-de-influenta. Mais, de loin, c’est la condamnation de Liviu DRAGNEA4)https://www.bursa.ro/inalta-curte-a-motivat-decizia-de-condamnare-a-lui-liviu-dragnea-80841834 qui  a suscité le plus de controverses en divisant le peuple roumain. Cet homme politique fort, mais au lourd passé avec la parquet anticorruption roumain, jugé pour fraude au référendum, a finalement été emprisonné pour trafic d’influence et pour création d’emplois fictifs.

Cependant, il serait inexact de considérer le défaut d’intégrité de la classe politique roumaine comme seule cause de la perpétuation de la corruption. Moins récentes, les affaires Oracle ou Veolia mettent en évidence l’expansion du phénomène de corruption par l’existence d’une certaine tolérance des grands groupes à l’égard des pratiques déployées par leurs filiales roumaines. Le directeur général de Oracle Roumanie  est accusé d’avoir reçu des pots-de-vin s’élevant à plus de 860.000 euros de la part de diverses entreprises informatiques pour leur avoir concédé, à des prix favorables, des parts de contrats dans lesquels Oracle était le principal contractant5)https://www.romania-insider.com/oracle-romania-ceo-corruption-investigation. Apa Nova , filiale roumaine du groupe Veolia, chargée de la distribution de l’eau à Bucarest, est soupçonnée d’avoir versé plus de 12 millions d’euros de pots-de-vin entre 2008 et 2015 en échange de décisions favorables des autorités locales, d’après l’enquête diligentée depuis septembre 2015 par le parquet anti-corruption roumain6)https://www.lefigaro.fr/flash-eco/2018/01/15/97002-20180115FILWWW00352-corruption-le-siege-de-veolia-en-roumanie-perquisitionne.php. À Bucarest, le prix de l’eau a bondi de 125% entre 2008 et 2015. Corrélativement, le chiffre d’affaires de la société était passé d’environ 114 millions d’euros cette année-là à 152 millions en 2012 et son bénéfice net de 19 à 26 millions. Le préjudice subi par l’Etat roumain s’élèverait à au moins 5,5 millions d’euros en ce qui concerne l’impôt sur le bénéfice et la TVA et à 17,3 millions pour le blanchiment. La filiale roumaine serait-elle seule à l’origine de ce schéma de corruption, quand le principal bénéficiaire des augmentations frauduleuses de coûts est le groupe Veolia ? Difficile à y croire.

Pour la Hongrie, est à signaler la réitération du détournement de fonds européens au profit de l’entourage de Viktor ORBAN : un train touristique partant de son village natal et construit par son ami très proche grâce à 1,9 million d’euros versés par l’Union européenne, un parc d’aventures également confié à des proches du Premier ministre, toujours financé grâce des aides européennes à hauteur de 3,5 millions d’euros. 43,7 millions d’euros versés par Bruxelles pour un projet de rénovation électrique portant sur la mise en place d’un nouvel éclairage de 34 villes7)https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/hongrie-les-pratiques-douteuses-du-clan-orban_2691690.html, projet réalisé par l’entreprise de son gendre, au détriment des habitants qui, eux, se retrouvent dans le noir. L’ONG Transparency International note qu’en matière de corruption, la Hongrie est passée de la 20ème à l’avant-dernière place des pays de l’Union européenne, durant les mandats de Viktor ORBAN.

La Bulgarie, le pays le plus corrompu parmi les états membres de l’Union européenne, a vu son gouvernement récemment frappé, au cours de l’année 2019, par des affaires de corruption concernant notamment le détournement de fonds européens, la manipulation des appels d’offres contre des pots-de-vin ainsi que la vente d’appartements de luxe à bas prix. Des membres du parti GERB, fondé par l’actuel Premier ministre, Boïko BORISSOV, qui effectue actuellement son troisième mandat, ont été directement impliqués dans l’achat d’appartements de luxe à bas prix8)https://www.courrierdesbalkans.fr/Corruption-en-Bulgarie-l-Apartmentgate-le-scandale-qui-fait-trembler-le-pouvoir. Ce schéma existe dans tous les pays de l’Europe de l’Est, qui fonctionnent, encore aujourd’hui, par réseaux très denses créés par toutes sortes de liens pouvant unir des personnes : liens d’amitié, familiaux, d’anciens clients de l’époque de la planification centralisée, mais aussi des liens d’influence mafieux ou de corruption. L’ensemble de ces liens donne une cohérence particulière à ce qui s’est construit en Europe de l’Est, une sorte d’économie de réseau dans laquelle les mafias ont toutes leur place. À cela s’ajoute une volonté quasi permanente de réformer, notamment dans le but de mieux contrôler la justice, et notamment les médias, un des plus importants vecteurs de propagation de ces pratiques.

Les problèmes de conflits d’intérêts, d’abus des ressources de l’État à des fins électorales, de transparence insuffisante concernant le financement des partis politiques et de leurs campagnes, et le manque d’indépendance des médias sont monnaie courante et devraient être des priorités tant pour les gouvernements nationaux que pour l’UE. Suite à ces résultats, et dans l’optique de rétablir et renforcer l’intégrité des systèmes politiques, l’ONG a émis de nouvelles recommandations, notamment la règlementation et le contrôle de la transparence du financement politique, une meilleure gestion des conflits d’intérêts, et le renforcement de l’intégrité électorale.

Cependant, comme le souligne également Patricia MOREIRA9)Transparency International, Indice de perception de la corruption 2019, page 9, la Directrice générale de Transparency International, c’est en s’attaquant à la relation entre la politique et l’argent que la corruption pourrait être efficacement combattue.

 

 

 

 

References
1 Transparency International, Indice de perception de la corruption 2019
2 https://adevarul.ro/locale/constanta/pronuntare-dosarul-retrocedarilor-radu-mazare-condamnat-9-ani-inchisoare-executare-1_5c5caf40df52022f7580bfc8/index.html
3 https://financialintelligence.ro/sorin-blejnar-condamnat-definitiv-la-5-ani-de-inchisoare-pentru-trafic-de-influenta
4 https://www.bursa.ro/inalta-curte-a-motivat-decizia-de-condamnare-a-lui-liviu-dragnea-80841834
5 https://www.romania-insider.com/oracle-romania-ceo-corruption-investigation
6 https://www.lefigaro.fr/flash-eco/2018/01/15/97002-20180115FILWWW00352-corruption-le-siege-de-veolia-en-roumanie-perquisitionne.php
7 https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/hongrie-les-pratiques-douteuses-du-clan-orban_2691690.html
8 https://www.courrierdesbalkans.fr/Corruption-en-Bulgarie-l-Apartmentgate-le-scandale-qui-fait-trembler-le-pouvoir
9 Transparency International, Indice de perception de la corruption 2019, page 9

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